Interview de Claire Folly - un intervenant pour 114 enfants au SEJ

de: Services Publics

Le 30 août, cinquante salarié-e-s du Service de l’enfance et de la jeunesse (SEJ) tiraient la sonnette d’alarme devant la presse. Questions à Claire Folly, intervenante en protection de l’enfance.

Pourquoi cette conférence de presse collective ?

Claire Folly – C’est le fruit d’un long processus. Depuis plusieurs années, la direction du Service de l’enfance et de la jeunesse tire la sonnette d’alarme. Le sous-effectif est tel que nous n’arrivons plus à sortir la tête de l’eau. Il frappe aussi bien le travail social de terrain que l’administration.

Or le Conseil d’Etat ne répond pas à cette situation de crise. Il dit être conscient de nos difficultés, mais n’accorde des augmentations d’effectifs qu’au compte-gouttes. Il vient de créer 2,8 équivalents plein temps (EPT), alors que nous en demandions 17.

C’est totalement insuffisant, car le nombre de situations que nous suivons est en augmentation. Alors que le débat budgétaire va commencer, nous avons décidé de poursuivre notre mobilisation et de témoigner ensemble face à la presse.

Les collègues ont répondu présent: nous étions une cinquantaine à la conférence de presse, sur les 80 que compte le service. Cela démontre l’ampleur du problème.

Concrètement, comme se traduit ce sous-effectif sur votre travail quotidien ?

Actuellement, un-e salarié-e à 100% doit suivre la situation de 114 enfants. Grosso modo, cela veut dire que nous disposons de 20 minutes par enfant, chaque semaine – en théorie.

Dans la pratique, nous n’arrivons plus à remplir notre mission de protection, dont un volet important consiste à travailler en amont pour faire de la prévention, accompagner, renforcer les liens, éviter les crises. Aujourd’hui, nous ne faisons que courir pour éteindre les incendies. Les autres situations passent au second plan: il y a des enfants que nous ne pouvons peu ou pas rencontrer, faute de temps.

Par exemple, si un enfant n’a plus confiance en son père, nous devrions soigner les retrouvailles. Or aujourd’hui nous n’avons pas le temps de rencontrer l’enfant et ses parents, ensemble ou séparément, et de discuter avec chacun-e pour aider à reconstruire les liens. Ou, dans le cas d’un enfant souffrant de négligences, nous n’arrivons pas à assurer la présence nécessaire à son domicile. Cela entraîne une augmentation des risques sociaux, avec des conséquences qui peuvent être dramatiques.

À cela, il faut ajouter le manque de places en institutions pour les mineur-e-s dans ce canton. Nous essayons de trouver des solutions créatives pour y pallier, mais c’est loin d’être optimal.

Pour ce qui est de l’administration, le manque de personnel est tel que les intervenants doivent assumer toujours plus de tâches administratives.

Comment réagit le personnel ?

Travailler dans une telle situation, c’est à la fois épuisant et frustrant. Il y a des enfants que nous ne pouvons pas entendre, auxquels nous ne pouvons pas expliquer les décisions que nous prenons. C’est juste intolérable et contraire à la convention des droits de l’enfant.

Un-e intervenant-e en protection de l’enfant est confronté-e à une charge émotionnelle importante, qui est décuplée par le manque de moyens: ne pas pouvoir aller au bout des démarches nécessaires pour un enfant, c’est très lourd.

La situation est telle que de nombreux/-euses collaborateurs/-trices démissionnent, parfois sans avoir trouvé un autre poste. Le turn-over est donc élevé – comme cette équipe d’une dizaine d’intervenant-e-s, au sein de laquelle une seule personne est encore en poste après quatre ans !

Malgré toute, le personnel reste extrêmement consciencieux et essaie de faire au mieux selon chaque situation.

Quelles mesures demandez-vous au Conseil d’Etat ?

La création immédiate de 15 équivalents plein temps. Au vu des finances florissantes de notre canton, c’est tout à fait possible. Tout le monde connaît les difficultés du SEJ. C’est le moment que les choses changent. Le canton de Fribourg ne peut pas se contenter d’une politique de l’enfance au rabais.

Notre objectif est d’avoir 60 à 70 enfants par intervenant-e, comme c’est le cas dans le canton de Vaud. Cette limite doit être fixée dans la loi, qui ne mentionne aujourd’hui qu’un « nombre adéquat ».