Les yeux de l’Intyamon: portrait d'un militant du SSP

de: Guy Zurkinden

Fabrice Maradan est l’un des seize gardes-faune fribourgeois. Un job passionnant, mais exigeant. Le gardien de la nature veille donc aussi sur ses conditions de travail – et celles de ses collègues.

Photo: Eric Roset

Le 19 septembre, la saison de chasse a démarré en terres fribourgeoises. Pour Fabrice Maradan, la date sonne le départ de deux semaines – la saison s’étend jusqu’à fin janvier, mais son intensité diminue ensuite – de travail presque ininterrompu, avec des journées s’étalant entre 5 h 30 et 21 h 30. « Si tout va bien », précise le garde-faune. Le samedi à l’aube, il a entamé son marathon dans la vallée de l’Intyamon, aux côtés du biologiste du Service des forêts et de la nature. Objectif: contrôler le respect des règles posées aux chasseurs. Mais aussi, et surtout, évaluer l’état sanitaire des sangliers, chamois, chevreuils ou cerfs abattus.


Un passionné. Depuis une quinzaine d’années, ce solide quinquagénaire, ancien bûcheron puis garde-forestier, père de deux filles, veille sur la flore et la faune de l’Intyamon. Un domaine de 16 000 hectares qui s’étend entre la Gruyère et Montbovon, englobant la réserve naturelle de Bounavaux (au pied du Vanil Noir) et celle, fédérale, de la Dent-de-Lys.
Ce qui l’a décidé à se coltiner, en plus de la formation sur le terrain et des cours, 300 heures d’études pour acquérir le double brevet fédéral (garde-faune et garde-pêche) nécessaire pour pratiquer ce métier exigeant ? « La passion pour la nature ».


« Au centre de la société ». Depuis, Fabrice passe une bonne part de son temps au cœur des bois et des montagnes. Mais son job ne se résume pas à cette image d’Epinal. L’activité du garde-faune se décline souvent en milieu urbain, car « chaque fois qu’on construit un nouveau quartier de villas, cela se fait sur le territoire d’un renard, d’une buse, d’un sanglier ou d’une autre espèce ». La problématique prend un tour particulier en Gruyère, soumise à une forte expansion démographique. Elle peut se traduire par l’appel d’un citadin-e s’inquiétant du passage d’un renard sur sa pelouse, ou une intervention visant à éloigner une harde de sangliers d’un champ de maïs. « Notre priorité, c’est la sensibilisation, la recherche d’une cohabitation entre l’homme et la faune sauvage », précise Fabrice. « Le tir, c’est la dernière solution» - lorsqu’un bœuf déboule dans la cour d’une école, ou qu’un chevreuil paniqué sème le chaos sur l’autoroute. Le médiateur se transforme alors en homme d’action.

La science du terrain. Une journée de travail ? « On ne sait jamais à l’avance ». Cela peut commencer, à l’aube, par un comptage de chamois et se terminer, bien après la tombée de la nuit, par une enquête sur la pollution d’un cours d’eau. Ou l’autopsie d’une bête pour élucider la cause de sa mort, voire une perquisition pour une affaire de braconnage – le garde-faune est aussi agent de la force publique, armé et disposant de prérogatives judiciaires.
Les activités sont diverses, mais reliées par un point commun: une connaissance hors pair de la faune, terrestre comme aquatique, et de son habitat. Cette science du terrain fait du garde-faune un acteur central, sollicité aussi bien pour l’assainissement d’un cours d’eau que la mise à l’enquête d’un projet de construction. « Nous sommes les yeux de notre circonscription », résume Fabrice. Des yeux qui observent avec préoccupation la pression du réchauffement climatique sur les écosystèmes – avec des rivières qui atteignent les 26 degrés, des espèces qui cherchent le froid toujours plus haut, comme la perdrix des neiges, tandis que d’autres s’installent dans la région, tel le cormoran. « Si nous voulons laisser quelque chose à nos enfants, nous devrons prendre des mesures drastiques » souligne Fabrice – qui a décidé de ne plus prendre l’avion.

Un métier exposé. Le métier a ses moments magiques – comme un lever de soleil en montagne, lors du recensement de la population de tétras-lyres. Mais il est aussi exigeant: le travail se fait de jour comme de nuit, avec une flexibilité « à 200% »; et lors des week-ends de piquet, les appels peuvent tomber à toute heure.
Crapahuter sur des chemins escarpés, même dans la neige pourrie du printemps, exige un physique en béton. Mais la pression est aussi psychologique: « Dans ma circonscription, qui couvre la majeure partie de l’Intyamon, il n’y a qu’un garde-faune. Toute le monde te connaît, ce n’est pas toujours facile à gérer. » Au Grand-Conseil, le lobby de la chasse, très politisé à droite, soumet les protecteurs de la nature à un tir régulier de questions et interpellations. À chaque fois, il faut répondre. « Cela laisse des traces ».

Ceux qui se salissent les mains. Gardien de la nature, Fabrice prend aussi soin de son métier. C’est dans ce but qu’il s’est engagé au SSP. Avec un acquis important à la clé: il y a quelques années, unis au sein du groupe des agents de la force publique, gardes-faune et gardiens de prison ont arraché la retraite à 60 ans. Mais le chemin vers la reconnaissance reste escarpé: « Depuis 2012, nous essayons de convaincre notre employeur de nous attribuer un véhicule de fonction. Sans succès. Pourtant, nous trimbalons 200 kilos de matériel. Et presque chaque année, il faut renégocier notre indemnité kilométrique », s’énerve le militant.
Au sein du syndicat, Fabrice apprécie découvrir la réalité de celles et ceux « qui se salissent les mains », mais restent dévalorisé-e-s. Récemment, il a été choqué par la souffrance du personnel de nettoyage de l’Hôpital fribourgeois. « On vit où, là ? Il est temps de revaloriser tout le personnel du service public. Et pas seulement quand on est dans la M. »


Galerie: Fabrice