Salaires du personnel soignant: Une aberration dans la logique de la classification des fonctions à l’Etat de Fribourg

de: Gaétan Zurkinden

La valeur des professions soignantes : un thème actuel…

Depuis plusieurs années, la classification salariale des infirmiers/-ières et des infirmiers/-ières «expert-e-s» à l’Etat de Fribourg fait débat, de même que celle d’autres fonctions soignantes: sages-femmes, technicien-ne-s en radiologie médicale (TRM).

Pour corriger une inégalité de traitement criante par rapport aux autres fonctions à l’Etat de Fribourg (voir ci-dessous), le SSP – région Fribourg a demandé, mi-2019 et début 2020, au Conseil d’Etat l’ouverture d’une procédure de réévaluation de la classification salariale des professions suivantes :

  • Infirmiers/-ières « expert-e-s » (EPD) en anesthésie/urgences/soins intensifs.
  • Infirmiers/-ières.
  • Sages-femmes.
  • Technicien-ne-s en radiologie médicale (TRM).
  • ASSC.

Le Conseil d’Etat a répondu favorablement à ces demandes, et a accepté l’ouverture d’un processus de réévaluation de ces fonctions. Très concrètement, nous sommes dans l’attente d’une décision concernant les infirmiers/-ières « expert-e-s » : elle devrait tomber cet automne. Concernant les autres demandes (TRM, infirmiers/-ières, sages-femmes, ASSC) le processus est moins avancé : nous sommes en train de finaliser les dossiers qui seront remis a gouvernement.

A l’heure où l’ensemble de la population applaudit – à juste titre – le personnel des soins, qui fait preuve d’un engagement extraordinaire pour sauver des vies, nous revenons sur cette problématique plus actuelle que jamais et qui démontre que les professions soignantes sont discriminées à l’Etat de Fribourg, sous l’angle salarial, depuis de nombreuses années.

Un peu d’histoire

Jusqu’en 2005, les infirmiers/-ières étaient colloqué-e-s dans les classes de salaires 12 à 16, en fonction de la formation suivie (infirmiers/-ières assistant-e-s, niveau I, niveau II). Les infirmiers/-ières « spécialisé-e-s » (actuellement : « expert-e-s ») bénéficiaient d’une classe de salaires supplémentaire (classe de salaire 17). Les autres professions soignantes (sages-femmes, technicien-ne-s en radiologie médicale) étaient alignées sur les classes de salaires des infirmiers/-ières, par analogie.

Au début des années 2'000, les formations soignantes ont été progressivement intégrées au cursus des HES. Elles sont donc passées à ce que l’on appelle les formations du « tertiaire non universitaire », soit un niveau de formation supérieur à celui qui était reconnu auparavant (diplôme des différentes écoles d’infirmiers/-ières, sages-femmes etc.).

Or, la méthode d’évaluation des fonctions à l’Etat de Fribourg, EVALFRI, accorde une importance toute particulière au niveau de formation, qui pèse 58% du total des points accordés pour juger de la classification d’une fonction. Plus le niveau de formation est élevé, meilleure est la classification.

Par conséquent, tenant compte d’une formation dorénavant reconnue comme étant de niveau HES, la fonction d’infirmier/-ières a été réévaluée, par ordonnance du 17 août 2005, en classe de salaire 17. Les infirmiers/-ières « spécialisé-e-s » (devenu-e-s, depuis, les « expert-e-s »), ont, eux/elles été colloqué-e-s en classe de salaire 18 (puis, en 2009, en classe de salaire 18-19).

Quant aux TRM, ils/elles étaient colloqué-e-s, en 2005, en classe de salaire 17-18, avant d’être « rétrogradé-e-s » en classe de salaire 17 uniquement.

Classe 17, où est le problème ?

On pourrait se dire que le fait d’avoir obtenu, en 2005, la classe de salaire 17 pour les infirmiers/-ières et les professions apparentées, ou la classe de salaire 18-19 pour les infirmiers/- ières « expert-e-s », est suffisant pour des professions qui ont longtemps été moins bien – voire nettement moins bien – rémunérées.

Or, c’est loin d’être le cas. Cette classification témoigne, en réalité, d’un âge où les professions dites « féminines » sont systématiquement moins valorisées que celles qui sont considérées comme des professions « masculines ».

Grandes lignes de la classification des fonctions à l’Etat

Comme indiqué plus haut, la classification des fonctions à l’Etat de Fribourg dépend, très largement, du niveau de formation, qui compte à hauteur de 58% dans le nombre de points octroyés qui détermine la classe de salaire.

Si l’on analyse la classification générale des fonctions à l’Etat de Fribourg, on peut dégager les grandes lignes suivantes, en fonction du niveau de formation :

  • Les fonctions dont le niveau de formation est inférieur au CFC sont, en général, colloquées dans les classes de salaire 4 (par exemple : employé-e de maison) à 7 (par exemple : aide-soignant-e).
  • Les fonctions dont le niveau de formation est de niveau CFC sont, en général, colloquées dans les classes de salaire 8 (par exemple : employé-e d’administration) à 13 (par exemple : taxateur fiscal).
  • Les fonctions dont le niveau de formation est de niveau brevet fédéral sont, en général, colloquées dans les classes de salaire 14 (collaborateur administratif, niveau I) à 17 (inspecteur du travail).
  • Les fonctions dont le niveau de formation est de niveau HES sont, en général, colloquées dans les classes de salaire 18 (par exemple : assistant social) à 21 (Conseiller/-ière pédagogique).
  • Les fonctions dont le niveau de formation est de niveau master sont, en général, colloquées dans les classes de salaire 22 (par exemple : enseignant-e au Cycle d’orientation) et plus.

Bien entendu, ce « découpage » reste approximatif : l’octroi de responsabilités particulières, ou l’accomplissement de formations supplémentaires, peut augmenter la classe de salaire. Toutefois, il reste représentatif de la logique générale qui sous-tend la classification des fonctions à l’Etat de Fribourg.

Aucune fonction de niveau HES en-dessous de la classe 18 !

En tous les cas, l’analyse susmentionnée permet d’affirmer une chose : à l’exception des professions soignantes, on ne trouvera aucune profession de niveau HES, à l’Etat de Fribourg, qui soit colloquée en-dessous de la classe de salaire 18. Par contre, il existe, a contrario, des professions exigeant un CFC (et une formation complémentaire) ou un diplôme fédéral qui, elles, sont colloquées en classe de salaire 18 (ou même plus haut), soit un niveau de salaire supérieur à celui des infirmiers/-ières et autres fonctions apparentées !

Parmi les professions, de niveau HES, qui sont colloquées en classe de salaire 18 et plus, on peut citer, notamment, les exemples suivants :

  • Collaborateur administratif diplômé 18-20
  • Conseiller en personnel 18
  • Enseignant primaire 18
  • Collaborateur technique diplômé 18
  • Analyste programmeur 20
  • Assistant social 18
  • Logopédiste 18
  • Educateur spécialisé 18

Infirmiers/-ières, « expert-e-s » etc : des formations sous-évaluées

La conclusion est simple : les formations d’infirmiers/-ières, d’infirmiers/-ières « expert-e-s » et les autres professions soignantes apparentées sont clairement sous-évaluées par rapport aux autres professions de l’Etat de Fribourg.

Cette conclusion est, d’ailleurs, corroborée par le nombre de points réel qu’ont obtenu ces différentes professions lors de leur évaluation selon la méthode EVALFRI. Ainsi, la fonction d’infirmier/-ière ou de sage-femme a recueilli un nombre de points dont la pondération équivaut à un nombre supérieur à celui qui est exigé pour obtenir la classe 18. Quant aux infirmiers/-ières «expert-e-s», le nombre de points octroyés s’approche plus du nombre de points donnant droit à la classe de salaire 20 qu’à celui équivalant à la classe de salaire 19.

Pour quelles raisons ces fonctions sont-elles sous-évaluées ? Il existe certainement plusieurs explications. Mais le fait qu’il s’agisse, à l’origine, de fonctions occupées principalement par des femmes, qui plus est travaillant souvent à temps partiel, en est certainement une. L’égalité salariale n’est donc pas encore un fait à l’Etat de Fribourg.

Conclusion : une injustice à réparer

En pleine pandémie de Covid-19, qui fait peur à la planète entière, on (re-)découvre subitement le caractère incontournable, indispensable et vital ces professions que, il n’y a pas plus de deux ans, une partie de la classe politique fribourgeoise, Conseil d’Etat en tête d’ailleurs, proposait de sortir de la Loi sur le personnel de l’Etat de Fribourg (LPers) car, soi-disant, elles « coûtaient » trop cher en comparaison suisse…

Juste retour des choses. A présent, il faut concrétiser cet enthousiasme, en octroyant à cesprofessions la rémunération qu’elles méritent.