Vebego à l'HFR: conseils pour essorer le personnel

de: Guy Zurkinden

Le 14 septembre, une vingtaine de nettoyeuses de l’Hôpital fribourgeois (HFR) ont manifesté pour dénoncer leur souffrance au travail. La société Vebego SA joue un rôle clé dans ce mal-être.

Photo Eric Roset

« Depuis que Vebego est là, notre situation a empiré. Il n’y a qu’une employée pour nettoyer un étage, et on nous rajoute encore des tâches. On est surveillées, espionnées. Ils passent plusieurs fois par jour pour te dire que tu ne sais pas faire ton travail ».

Parmi les facteurs contribuant à la dégradation de leurs conditions de travail, les vingt-cinq nettoyeuses de l’hôpital cantonal soulignent le rôle joué, depuis la fin 2019, par des « consultant-e-s » de l’entreprise Vebego SA.

Comme des voitures. Vebego SA ? Il s’agit d’une filiale de Vebego International, holding active dans le Facility Service (services aux entreprises) et la santé. Le groupe annonce 36 000 employé-e-s (71% de personnel féminin, 80% de temps partiel) aux Pays-Bas, en Suisse, en Belgique et en Allemagne, pour un chiffre d’affaires de 1,2 milliard d’euros. Son antenne helvétique emploie 6000 salarié-e-s. Ses principales activités: le nettoyage et l’entretien des bâtiments. Il y a cinq ans, la société a créé une nouvelle division, Vebego Santé. Celle-ci propose aux établissements de soins des activités de conseil, mais aussi des services en matière de logistique, nettoyage et blanchisserie. À sa tête on trouve un ancien collaborateur de l’Hôpital fribourgeois: Harjan Winters, responsable de l’hôtellerie, de la logistique puis de l’intendance à l’HFR de décembre 2011 à juillet 2015. Selon M. Winters, la société est active au sein de soixante-trois hôpitaux et EMS helvétiques, dont l’HFR. Il semblerait qu’elle soit pour l’instant plutôt implantée en Suisse alémanique. Sur son site internet, Vebego Santé vante les vertus du lean management, une démarche visant à traquer les temps morts inventée dans les années 1950 au sein des usines automobiles Toyota.

Que fait Vebego à l’HFR ? Interrogé sur ce partenariat, Andreas Berger, directeur ad intérim de la logistique au sein de l’HFR, nous précise que celui-ci porte sur l’ensemble de l’hôtellerie sur le site fribourgeois (nettoyage, centrale des lits et room service), qu’il a une durée limitée et se concrétise par des activités de « formation ». L’objectif ? « Veiller à ce que la collaboratrice soit au bon endroit au bon moment, avec le bon matériel ». Dans ce but, « les cadres de l’hôtellerie collaborent étroitement avec une cheffe de projet de Vebego ». En parallèle, des « formateurs accompagnent les nettoyeuses durant leur formation », de manière ponctuelle. L’HFR cherche-t-il ainsi à réduire les coûts ? M. Berger nous indique que « tous les hôpitaux de Suisse cherchent à réaliser des économies ».

« Nettoyage à vue ». Sur le terrain, des consultant-e-s de Vebego suivent désormais les nettoyeuses dans les étages de l’HFR et discutent des plannings et de l’organisation avec les chef-fe-s. Le personnel est loin d’apprécier cette présence. Selon les témoignages récoltés par le SSP, le mandat de Vebego a en effet coïncidé avec une forte intensification du travail: le 1er janvier 2020, le nombre de nettoyeuses a été réduit de deux à une par étage. Les conseillers-ères de Vebego pousseraient les employées à en faire encore plus, malgré la surcharge de travail, tout en agrémentant leurs conseils de remarques dévalorisantes, par exemple sur le fait qu’il faudrait « arrêter de penser ancien », ou sur leur « coût au mètre carré », qui serait trop élevé. Le concept de « nettoyage à vue » vanté par Vebego – nettoyer uniquement ce qui paraît sale, plutôt que tout faire à fond, pour gagner du temps – est aussi dénoncé comme entraînant une baisse de la qualité. Dans une lettre adressée au Conseil d’administration le 31 août, les nettoyeuses citent comme exemples, photos à l’appui, des amas de poussière dans les chambres et couloirs, des traces de sang dans les escaliers ou des poubelles non vidées.

Demain, la privatisation ? Réagissant à ces critiques, M. Berger nie que la qualité du nettoyage se soit dégradée. Le responsable indique prendre au sérieux les « difficultés » des nettoyeuses et mentionne une « intensification des échanges avec les collaboratrices ».

Et la suite ? L’activité de conseil pourrait-elle déboucher sur une proposition d’externalisation pure et simple du nettoyage à Vebego – qui applique les salaires de la CCT du nettoyage pour la Suisse romande, nettement inférieurs à ceux prévus par la Loi sur le personnel de l’Etat (lire ci-dessous) ?

Selon M. Berger, ce projet n’est pas d’actualité. Le mandat de « consulting » en cours aurait au contraire pour but de « développer le potentiel à l’interne » afin d’éviter une privatisation. M. Winters, de son côté, assure que ses consultant-e-s se refusent à évoquer toute externalisation avec leurs client-e-s.

Pas sûr que ces réponses suffisent à rassurer les nettoyeuses essorées par les « conseils » de Vebego SA, alors que l’HFR vient d’annoncer la privatisation totale du service de nettoyage à l’hôpital de Tavel – après celles des buanderies de Marsens et de l’hôpital cantonal, ainsi que de la crèche de l’HFR.

De son côté, le SSP demande du personnel supplémentaire pour que les nettoyeuses se retrouvent, au minimum, à deux par étage. Une séance de négociations est prévue dans ce sens.


Le nettoyage privatisé à Tavel

Le SSP a été informé, mercredi 9 septembre, de la décision du Conseil d’administration de l’Hôpital fribourgeois (HFR) de privatiser le secteur du nettoyage sur le site de Tavel, dès le 1er novembre 2021. Cette décision est de mauvais augure. Sur le terrain, elle se traduira par un important dumping salarial et social.

L’écart moyen entre le salaire d’un employé de nettoyage dans le privé et dans le public est de 1 500 francs par mois, au détriment du premier – 2 000 francs mensuels d’écart après vingt ans d’activité.

Un employé de nettoyage ayant 20 années d’ancienneté à l’Etat de Fribourg touche un salaire mensuel de 5 833 francs bruts. Dans le privé, les salaires les plus élevés ne dépassent pas 4 000 francs par mois. Souvent, ils tournent autour de 3 500 francs mensuels.

Le SSP regrette que les engagements pris par l’HFR en septembre 2019 n’aient pas été tenus. Une partie du secteur du nettoyage sur le site de Tavel avait alors été externalisée à l’entreprise ISS – un certain nombre d’employé-e-s restant cependant au bénéfice d’un statut de droit public.

La direction de l’hôpital avait alors pris l’engagement de rediscuter de cette situation avec les partenaires sociaux en mars 2021. Elle n’a pas tenu parole. Le personnel et les syndicats sont aujourd’hui mis devant le fait accompli.

Le SSP va interpeller le Conseil d’administration pour lui demander d’entamer des négociations sur la question.

SSP – Région Fribourg